Mois de l’histoire des Noirs: Charlie Wiggins

Février marque le Mois de l’histoire des Noirs. Pour l’occasion, Le Bulletin GP rend hommage aux pilotes qui ont laissé leur empreinte dans l’univers de la course automobile. Aujourd’hui: Charlie Wiggins.

Tout comme Wendell Scott, Charlie Wigggins fut un pilote automobile talentueux, mais souvent écorché par le racisme effarant. Malheureusement, son rêve de participer aux 500 Miles d’Indianapolis ne s’est jamais réalisé.

Son passé préautomobile

Né à Evansville, en Indiana (la troisième plus ville de l’État) en 1897, Charlie Wiggins était le fils d’un minier. Malheureusement, il vit sa mère mourir alors qu’il avait neuf ans. Avec le père qui dut élever la famille seul, il fallut que Wiggins quitte l’école pour aider son papa, ainsi que son frère et ses deux sœurs. Suite à ce décès, Charlie travailla comme cireur de chaussures, à l’extérieur d’un concessionnaire de voitures. Entre deux cirages, il se faufila dans la succursale et regarda le personnel en action, en train de vendre et réparer les voitures.

Il s’intéressa aux bolides et, en 1917. parvint à convaincre ladite succursale à l’embaucher comme apprenti mécanicien, bien que les employés soient tous blancs. Cette chance survint dû au départ de plusieurs mécanos pour la Première Guerre mondiale. Au fil des années, Charlie devint mécanicien en chef.

Au début des années 1920, Wiggins et sa femme, qu’il maria en 1917, quittèrent Evansville pour Indianapolis, capitale de l’Indiana, avec l’espoir d’obtenir un meilleur avenir dans la grosse ville (Roberta Sullenger, la femme de Charlie, était un top modèle). Au bout de deux ans, Wiggins acheta un garage dans la communauté noire d’Indianapolis.

Les débuts de Charlie Wiggins

Pendant ses temps libres, Charlie Wiggins conçut une voiture de course pour tenter de participer aux 500 Miles d’Indianapolis, événement jeune d’une dizaine d’années à ce moment. Il bâtit la Wiggins Special, pour l’édition de 1920. Malheureusement, sa participation fut refusée par l’American Automotibe Association (AAA), car il était noir.

Bien que ce fut dommage pour lui, cela n’empêcha pas Wiggins de tenter sa chance ailleurs. Il se joignit à la Colored Speedway Association, une nouvelle fédération automobile réservée aux pilotes de race noire du Midwest des États-Unis. Elle s’apparente à la Negro League Baseball: réservée aux pilotes noirs.  Si sa Wiggins Special ne fut guère prête pour la saison 1924, Charlie prit part à l’édition 1925, surtout dans la course Gold and Glory.

La Gold and Glory, une course sur terre battue, comprenant uniquement des pilotes noirs

La Gold and Glory fut une course de 100 miles (160 km) sur terre battue, disputée à l’ovale de l’Indiana State Fairground (1.6 km). Cet événement fut surnommé « l’équivalent moral de l’Indy 500 » par le journaliste automobile Dale Drinnon.

Wiggins connut du succès dans la Gold and Glory. En 1926, il remporta l’épreuve avec une avance de deux tours sur le deuxième. Avec ses succès dans la Colored Speedway Association, les gens surnommèrent Charlie le « Negro Speed King ».

Année après année, Wiggins domina, sans cesse, les courses de la CSA et remporta trois autres Gold and Glory. Il était clair qu’il avait le talent, autant en tant que pilote que comme mécanicien, et qu’il était en mesure de rivaliser contre les blancs.

Encore faut-il qu’il participe aux 500 Miles d’Indianapolis…

Indianapolis 500 1934

 

Le refus de l’American Automobile Association (AAA) de laisser Charlie Wiggins prendre part au Indy 500, en 1920, ne fut pas un obstacle pour ce dernier. En fait, il revint au Brickyard, mais pas comme pilote.

Bill Cummings, détenteur de la pole position des 500 Miles en 1933, vit le potentiel et la bonne réputation de Wiggins et lui demanda s’il pouvait lui prêter la Wiggins Special pour l’édition de 1934. Charlie accepta, mais à une condition: qu’il soit ingénieur de l’équipe Boyle Products.

Si les Noirs étaient interdits de participation au Indy 500, imaginez comme ingénieur. Afin d’éviter une controverse, Cummings et Boyle Products mirent Charlie comme concierge. Durant les années 30, les lois Jim Crow étaient en vigueur, donc il fallait jouer de manière prudente.

Pendant le jour, Wiggins balayait le plancher et nettoyait le garage de l’écurie. En soirée, quand il ne resta personne au Indianapolis Motor Speedway, Charlie travailla sur le bolide.

Lors du jour de course, Wiggins fut contraint de regarder les 500 Miles dans les tribunes réservées aux Noirs (lois Jim Crow…). Il fut témoin de la victoire de Bill Cummings, sa seule au Brickyard, au volant d’une voiture conçue et montée par un Noir. Malheureusement, Wiggins ne put célébrer cette victoire avec le pilote et les membres de l’équipe.

Ce ne fut pas la première fois qu’un pilote blanc fasse confiance à Wiggins pour peaufiner des monoplaces. Harry McQuinn, participant aux 500 Miles d’Indianapolis à dix reprises, confia la mécanique à Charlie. Ce dernier accepta à une condition: qu’il conduise la voiture, en guise d’essais. Malheusuement, des gens virent Wiggins conduire sur une piste à Louisville et Charlie fut arrêté par la Kentucky Militia (milice d’extrême droite) pour excès de vitesse… sur un circuit de course automobile. Évidemment, Wiggins reçut des menaces de mort et de lynchage.

Bref, Charlie Wiggins était un homme respecté parmi les pilotes pour son talent en piste et son expertise prodigieux comme mécanicien. Cela rapporta gros, avec la victoire au Indy 500. Dommage qu’il ne put célébrer.

Fin de carrière abrupte

Après le Indianapolis 500 en 1934, Wiggins continua de piloter dans la Color Speedway Association et au Gold and Glory.

Tristement, en 1936, Charlie fut impliqué dans un carambolage impliquant une douzaine de participants. Il fut gravement blessé, entraînant l’amputation de sa jambe droite et la perte de son œil droit. Cela marquait la fin de sa carrière de pilote de course. Cet accident monstre marqua aussi la fin de la course Gold and Glory, qui fut évincée dès la fin de l’année.

Malgré tout, Wiggins, avec une jambe de bois, continua de travailler comme mécanicien et à militer pour permettre à d’autres pilotes noirs de participer à des épreuves avec des Blancs.

D’un autre côté, il continua de souffrir des blessures de 1936. Le 11 mars 1979, Charlie Wiggins décéda des suites d’un poumon endommagé. Son état de santé se détériorant et sans-le-sou, il ne put recevoir de bons traitements pour soigner ses douleurs.

Wiggins fut enterré dans un cimetière d’Indianapolis… dans l’anonymat.

Héritage

Il fallut attendre plus de 70 ans, avant de voir un Noir se qualifier pour les 500 Miles d’Indianapolis. Cet honneur revint à Willy T. Ribbs, en 1991. Onze ans après Ribbs, George Mack fit de même et termina 17e (alors qu’on débat encore sur le vainqueur de cette édition).

Il existe quelques œuvres artistiques racontant la vie de Charlie Wiggins. En 2007, le livre For Gold and Glory: Charlie Wiggins and the African-American Racing Car Circuit de l’auteur Todd Gould parut en librairie. Cela raconte, en détail, l’histoire du Gold and Glory.

En novembre 2012, PBS diffusa un documentaire d’environ une heure sur l’histoire de Wiggins et de cette fameuse course.

Finalement, en juillet 2021, l’IndyCar et Firestone annoncèrent la production d’un documentaire sur la vie de Wiggins, qui devrait débuter au printemps de 2022. Heureusement, il fut intronisé au Temple de la renommée de l’Automobile, une semaine après cette annonce.

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