Le spectacle avant le sport ou vice-versa?

Près d’une semaine après la fin chaotique du Grand Prix d’Australie, Abdou Sall et Marc-André Fortin se demandent si la Formule 1 fait passer le sport avant le spectacle ou vice-versa.

Quelques jours ont passé, après une fin très mouvementée du Grand Prix d’Australie 2023. Max Verstappen a remporté cette course, devant Lewis Hamilton et Fernando Alonso. Onze championnats du monde sur un même podium.

Podium du Grand Prix d’Australie 2023 (Photo: REUTERS/Jaimi Joy)

C’était beau à voir, mais ce top 3 n’était pas le sujet de discussion. Dans l’agora de la course automobile, on parlait surtout des trois drapeaux rouges déployés par la direction de course.

Drapeau rouge #1 : accident d’Alex Albon (Williams), au 17e tour.

L’accident d’Alex Albon: premier drapeau rouge (Photo: XPB)

Drapeau rouge 2 : Kevin Magnussen tapa le mur au virage 2, perdant son pneu arrière. La voiture de sécurité fit encore son apparition, avant que l’épreuve ne soit encore suspendue. Une heure plus tard, avec deux tours à faire, on allait avoir une fin de course stressante.

Finalement, non. La fin fut absolument chaotique. Accrochage espagnol, yeet à la française et Logan Sargeant qui met en échec par derrière Nyck De Vries. Raison évidente de brandir un troisième drapeau rouge.

Sergio Perez, Nyck De Vries et Logan Sargeant dans le sable (Photo: XPB)

Évidemment, sur les réseaux sociaux, il y a eu un mélange d’incompréhension et de furie, quant à la relance de la course au 57e tour. Pourquoi ne pas avoir terminé ce GP derrière la voiture de sécurité, au lieu de stopper la course pour un sprint de deux tours? Ces drapeaux rouges étaient-ils vraiment nécessaires?

Encore une fois, on se retrouve à s’insurger sur des décisions de la FIA (Fédération internationale de l’automobile). Depuis deux ans, on assiste à des moments controversés (dont un ayant eu lieu en décembre). Comme certains internautes, dimanche, j’ai peut-être l’impression qu’on assiste à un show, plutôt qu’à un sport.

Est-ce que la direction de course craint maintenant de terminer un Grand Prix derrière la voiture de sécurité, de peur que ça frustre les fans? Je crains bien que oui. Après tout, ce n’est guère la première fois qu’une telle situation s’était produite. L’exemple le plus récent : Italie 2022, avec à l’abandon de Daniel Ricciardo.

Je me souviens encore de la réaction négative que cela avait provoqué. Je comprends que terminer une épreuve dans une parade processionnelle n’est pas plaisante, mais cela fait partie du sport. Après tout, Sebastian Vettel fut sacré champion des pilotes en 2012, après un accident de Paul Di Resta, dans l’avant-dernier tour du GP du Brésil.

La première fois qu’on avait vu un départ arrêté dans un mini-sprint, après un drapeau rouge, c’était en Azerbaïdjan 2021. On a tous vu Lewis Hamilton partir tout droit au premier virage, marquant zéro point. C’était spectaculaire à voir, mais le drapeau rouge dans cette course fut nécessaire, après que des débris de la Red Bull accidentée de Max Verstappen furent répandus sur la piste.

GP d’Azerbaïdjan 2021: la 1ère fois que nous voyons un mini-sprint de 2 tours (photo: XPB)

Maintenant, j’ai l’impression qu’on s’attend à ce que ce soit brandi pour le show, plutôt que pour la sécurité. Terminer un Grand Prix sous drapeau vert est ce qu’on veut voir, mais il faut aussi accepter qu’une course puisse être complétée derrière la voiture de sécurité.

Est-ce que nous voyons plus de show que de sport? C’est ce que je crains, mais ce phénomène n’est pas nouveau. Vous souvenez-vous de la proposition folle de Bernie Ecclestone d’installer des gicleurs pour pimenter les courses? Ou bien celle d’imposer un système de médailles, comme aux Jeux olympiques, afin de déterminer le champion de la saison?

La Formule 1 est un sport régi par la Fédération internationale de l’automobile, mais les droits commerciaux sont gérés par une compagnie tierce (FOM). Or, les détenteurs desdits droits commerciaux vont tout faire pour rendre leur produit rentable. Cependant, il ne faut pas que l’aspect entertainement (divertissement) surpasse l’aspect sportif, voire l’ADN de la Formule 1 (encore faut-il définir le terme galvaudé « ADN de la F1 »).

Depuis que Liberty Media a succédé à Bernie Ecclestone comme détenteur de la FOM, la compagnie américaine a effectué un travail exceptionnel pour rendre la Formule 1 plus populaire que jamais. Outre Drive To Survive, avoir l’audace de révolutionner les fins de semaine, avec l’introduction du sprint, en 2021, est quand même à souligner.

Cependant, faut-il vraiment désacraliser des éléments importants de la course automobile, uniquement pour rendre ça plus excitant? Au détriment de la sécurité des pilotes, du personnel et des partisans aux abord de la piste?

Par exemple, en NASCAR, lors du Echo Automative Grand Prix à Austin, cela a pris une dizaine de tours de prolongation pour que Tyler Reddick obtienne sa victoire à COTA. Cette règle de prolongation, existante depuis 2004, ne fait aucunement l’unanimité auprès des fans et des pilotes. Pourtant, la série ne se gêne pas pour commanditer cette période de la course…

Lors du Indy 500 2022, un drapeau rouge fut brandi, après l’accident de Jimmie Johnson avec six tours restants. Évidemment, l’objectif était de terminer l’épreuve sous drapeau vert… ce qui ne fut jamais le cas, car Sage Karam tapa le mur dans le dernier tour. Marcus Ericsson fut sacré vainqueur de ce classique de la course automobile. À l’instar de l’incident du GP d’Australie 2023, il n’y avait pas de raison vraiment valide pour interrompre la course.

J’aime bien voir des duels entre les pilotes pour la victoire, un podium ou bien pour des points, mais je ne veux pas que ce soit une manipulation.

Partie de Marc-André

Les années passent et la Formule 1 change énormément. Les événements survenus lors du Grand Prix d’Australie ont secoué le monde du sport automobile.

Une chose est certaine, il y aura un avant et un après.

Un entrechoc entre les puristes et les nouveaux partisans aura lieu dans les prochaines semaines et/ou mois. Certains diront qu’ils n’ont pas du tout reconnu la compétition avec laquelle ils sont tombés amoureux, d’autres diront davantage qu’ils regardent la F1 pour le spectacle que nous avons sur la piste et sur Netflix, avec Drive To Survive. En 2017, le grand Bernie Ecclestone a vendu ses parts à Liberty Media et, du jour au lendemain, on a pu voir une différence dans les actions posées.

Les pilotes n’ont jamais été aussi disponibles et connus autant par les médias que par les partisans. Ils peuvent maintenant être plus proches du commun des mortels par l’accès aux réseaux sociaux, mais également par une proximité plus importante sur les circuits.

Maintenant, sur la piste, il y a un point central sur lequel AUCUNE compagnie ne devrait avoir de contrôle : la sécurité. La question fera couler beaucoup d’encre dans les prochaines semaines : est-ce que la FIA et Liberty Media ont préféré le spectacle au détriment de la sécurité, en décidant de sortir un nouveau drapeau rouge avec trois tours à faire après l’accident de Kevin Magnussen ? Peut-être ! Les opinions sont très différentes.

Photo: Getty Images/Robert Cianflone

Les puristes diront qu’il n’y a aucun problème à terminer une course derrière la voiture de sécurité, d’autres seront complètement contre. De mon côté, je crois que le sport change au gré des intérêts des nouveaux partisans. Je ne souhaite pas revenir sur les événements d’Abu Dhabi 2021, mais depuis ce temps, la F1 semble vouloir se diriger vers une interruption totale lorsqu’un incident survient dans les derniers tours afin, de laisser suffisamment de temps aux commissaires de course pour déblayer la piste et terminer celle-ci en mode «sprint».

Quant à moi, la position se défend totalement, la F1 souhaite rajeunir sa base de partisans et je crois que ce sont des décisions qui aideront à y parvenir.

Ayant commencé à suivre la F1 en 2015, je suis attaché aux anciennes pratiques, mais je suis prêt à faire certaines concessions. Martin Leclerc a écrit un papier très pertinent à ce propos dans sa chronique à Radio-Canada. Dans une portion de son texte, il se questionne à savoir si la F1 n’est pas en train de prendre une direction similaire à celle de la NASCAR, «qui arrangent certaines décisions sportives pour favoriser le spectacle».

Clairement, la compétition reine de la course automobile a pris une tangente dans cette direction, mais il m’apparait claire qu’il y aura deux clans. Au sein même du paddock. La preuve. Certains comme Nico Hulkenberg, Lando Norris et George Russell, sont sortis publiquement pour critiquer la décision.

« J’ai donc l’impression que c’est un élément un peu artificiel. Et je ne suis pas sûr que ce soit l’ADN de la F1 que j’ai connue. Je pense qu’il va y avoir des discussions à ce sujet. » – Nico Hulkenberg lors d’un entretien avec un média britannique.

Pourtant, d’autres soutiennent que les commissaires ont respecté les règlements. En entrevue avec le media Motorsport.com, Christian Horner, le directeur de course de Red Bull disait «comprendre la décision» prise par le directeur de course, Niels Wittich.

«Vous pouvez comprendre le raisonnement qui consiste à vouloir terminer dans des conditions de course plutôt que de rester derrière la voiture de sécurité pendant trois tours. Ils auraient peut-être pu dégager le circuit et relancer la course, je n’en sais rien. Comme dans tous les cas, il y a toujours quelque chose à apprendre»

Horner soutient également que cette question a été au cœur des discussions dernièrement et qu’il semblait y avoir un consensus.

«C’est quelque chose qui a été discuté. Je pense qu’il y a toujours eu une préférence pour finir dans des conditions de course, donc si l’arrêt de la course leur permet de nettoyer le circuit, plutôt que de faire les tours restants sous une voiture de sécurité, c’est la bonne chose à faire. Le problème, c’est que lorsque vous êtes la voiture en tête et que vous avez contrôlé une avance de dix secondes tout au long de l’après-midi, c’est une énorme variable qui devient un peu une loterie »

Qui croire ? Je ne crois pas détenir la vérité. J’utilise cette plateforme pour réfléchir sur le futur.

Comme mentionné par Abdou plus haut, il y a eu Monza 2022. Alors qu’il restait six tours à la course et que la voiture de Daniel Ricciardo s’est immobilisée sur le bord de la piste. Les directeurs de course ont décidé de brandir les drapeaux jaunes et de sortir la voiture de sécurité. Encore une fois, la décision n’avait pas fait l’unanimité.

Encore traumatisés de la fin du championnat 2021, les membres de Mercedes (Lewis Hamilton et Toto Wolff) avaient défendu la FIA en rétorquant qu’elle s’était fiée au règlement qui stipule qu’un drapeau rouge doit être utilisé seulement en cas d’urgence. Chez les tifosis, des huées se sont fait entendre après le résultat de la course, une victoire de Max Verstappen devant le pilote de la voiture italienne Charles Leclerc.

Alors qu’est-ce qu’il a changé en cinq mois ? Le directeur de course était également Niels Wittich à ce moment. Je répondrai partiellement en disant que la situation est quand même bien différente. À Monza, il n’y avait pas de débris et un pneu partout sur la piste comme l’incident impliquant Kevin Magnussen.

Voulons-nous que Liberty Media et la FIA créent et modifient le cours d’une course dans les derniers balbutiements uniquement pour le spectacle et ajouter du piquant ? Évidemment que non. Surtout que dans les derniers tours, n’importe quel pilote voudra utiliser cette ultime chance (avec un départ lancé) pour gagner des places, quitte à faire «moins attention», créant des carambolages dont nous avons été témoins dimanche dernier.

Dans les prochaines semaines, les grandes instances devront se réunir afin de prendre des décisions qui dicteront le futur de la compétition. Si jamais, ils prennent la direction d’y aller de l’avant avec des interruptions dans les derniers tours, je crois qu’il devra avoir, du même coup, une réflexion importante sur la manière dont cela peut se faire en toute sécurité.

Je crois que peu importe la tangente prise, Liberty Media et la FIA devront être transparents pour qu’on ne soit plus surpris si une situation comme celle-ci se reproduit. Certains pilotes, dont Norris, affirmaient que l’une des raisons de la cause à effet avait été la température des pneus après la relance.

Personnellement, je suis ouvert à ce que les choses changent en Formule 1, si on respecte l’intégrité du sport et que l’on ne manipule pas les résultats à leur guise, uniquement pour le spectacle. Cependant, il y a une chose que je n’abandonnerai pas : offrir un environnement le plus sécuritaire pour les pilotes.

Je préfère qu’une course se termine en mode «drapeau vert» que derrière la voiture de sécurité, mais il faut que ce soit encadré de la bonne façon.

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